Alors que le pays est engagé dans la lutte contre une pandémie, les promoteurs de l’euthanasie ont décidé d’engager une offensive majeure. Réunis en commission le 31 mars, les députés ont adopté la proposition de loi autorisant l'euthanasie.
En attendant l’examen en séance publique du 8 avril, écoutons le Pape François : Il n'existe pas de droit à mourir ou faire mourir. Défendre la vie humaine « durant la vie et jusqu’à la fin », est un « devoir absolu ». Les députés de la majorité nomment pudiquement cette loi facilitant l'euthanasie : " Proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité "
"Art. L. 1110-5-4. – Toute
personne capable, selon la définition donnée par le code civil, en
phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à
brève échéance, atteinte d’au moins une affection, accidentelle ou
pathologique, aux caractères graves et incurables avérés et infligeant
une souffrance physique ou psychique inapaisable qu’elle juge
insupportable ou la plaçant dans un état de dépendance qu’elle estime
incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier dans les
conditions prévues au présent titre d’une aide active à mourir."
Comment ne pas rappeler Evangelium vitæ :
« l’euthanasie est donc un crime qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. Des lois de cette nature, non seulement ne créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience. »

Pape François: "défendre la vie est un devoir absolu"
Défendre la vie humaine « durant la vie et jusqu’à la fin », est un
« devoir absolu » rappelle le pape François qui invite les politiciens à
mettre la défense de la vie au centre de leurs programmes.

Lettre Samaritanus Bonus sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie
Le document propose une approche intégrale de la personne humaine, de la
souffrance et de la maladie, de la prise en charge des personnes en
phase critique et terminale de la vie. La lettre Samaritanus bonus, dont
la rédaction a été décidée en 2018 lors de la session plénière de la
Congrégation pour la doctrine de la foi, se propose d’apporter « une
perspective d’espérance pour la souffrance vécue par ceux qui sont
confiés aux soins affectueux des travailleurs de la santé «. Dans un
« environnement de droit civil international de plus en plus permissif
en ce qui concerne l’euthanasie, le suicide assisté et les dispositions
relatives à la fin de vie «, l’Eglise catholique présente, avec
Samaritanus bonus, « une nouvelle déclaration organique « s’inscrivant
dans la continuité de ses enseignements sur le sujet. Quand il n’y a
plus rien à faire pour sauver une vie, il y a encore « beaucoup à faire «
pour accompagner la fin de vie. Ce document présente un refus net
de l’euthanasie et de la logique du « rejet « comme de l’acharnement
thérapeutique. Il réfléchit à des questions délicates comme la vie
prénatale et les états de conscience réduite. Il réaffirme le droit à
l’objection de conscience du personnel soignant.
* * *
Le
Bon Samaritain qui quitte son chemin pour venir au secours de l’homme
souffrant (cf. Lc 10, 30-37) est l’image de Jésus-Christ qui rencontre
l’homme ayant besoin de salut et qui soigne ses blessures et ses
douleurs avec « l’huile de la consolation et le vin de l’espérance
».[1]Il est le médecin des âmes et des corps et « le témoin fidèle » (Ap
3, 14) de la présence salvatrice de Dieu dans le monde. Mais comment ce
message peut-il être concrétisé aujourd’hui ? Comment le traduire en
une capacité d’accompagner la personne malade dans les phases terminales
de la vie, de manière à l’assister tout en respectant et en promouvant
toujours sa dignité humaine inaliénable, son appel à la sainteté et, par
conséquent, la valeur suprême de son existence même ?
Le
développement extraordinaire et progressif des technologies biomédicales
a augmenté de façon exponentielle les capacités cliniques de la
médecine en matière de diagnostic, de thérapie et de soin aux patients.
L’Église regarde avec espérance la recherche scientifique et
technologique et y voit une occasion favorable de servir le bien
intégral de la vie et la dignité de tout être humain.[2] Cependant, ces
progrès de la technologie médicale, bien que précieux, ne sont pas en
eux-mêmes décisifs pour qualifier le sens propre et la valeur de la vie
humaine. En effet, tout progrès dans les compétences des personnels de
santé nécessite une capacité de discernement moral à la fois croissante
et empreinte de sagesse[3] pour éviter une utilisation disproportionnée
et déshumanisante des technologies, en particulier dans les phases
critiques ou terminales de la vie humaine.
En outre, la gestion
organisationnelle ainsi que l’articulation et la complexité élevées des
systèmes de santé contemporains peuvent réduire la relation de confiance
entre le médecin et le patient à une relation purement technique et
contractuelle. Un tel risque pèse lourdement sur les pays où sont
adoptées des lois légitimant les formes de suicide assisté et
d’euthanasie volontaire des patients les plus vulnérables. Elles nient
les limites éthiques et juridiques de l’autodétermination de la personne
malade, obscurcissant de manière inquiétante la valeur de la vie
humaine dans la maladie, le sens de la souffrance et la signification du
temps qui précède la mort. La douleur et la mort, en effet, ne peuvent
être les critères ultimes qui mesurent la dignité humaine, laquelle est
propre à chaque personne, du simple fait qu’elle est un “être humain”.
Face
à de tels défis, capables de remettre en cause notre façon de penser la
médecine, le sens du soin à la personne malade et la responsabilité
sociale envers les plus vulnérables, le présent document vise à éclairer
les pasteurs et les fidèles dans leurs préoccupations et leurs doutes
sur l’assistance médicale, spirituelle et pastorale due aux malades dans
les phases critiques et terminales de la vie. Tous sont appelés à
rendre témoignage aux côtés des malades et à devenir des “communautés de
guérison”, afin que le désir de Jésus que tous soient une seule chair, à
commencer par les plus faibles et les plus vulnérables, se réalise
concrètement.[4] Partout, en effet, on perçoit le besoin d’une
clarification morale et d’une orientation pratique sur la manière
d’aider ces personnes, car « une unité de doctrine et de pratique est
nécessaire »[5]quant à une question aussi délicate, qui concerne les
patients les plus faibles dans les étapes les plus délicates et les plus
décisives de la vie d’une personne.
Diverses Conférences
Épiscopales dans le monde ont publié des documents et des lettres
pastorales, par lesquels elles ont cherché à répondre aux défis posés
par le suicide assisté et l’euthanasie volontaire – légitimés par
certaines réglementations nationales – en particulier pour les personnes
qui travaillent ou sont hospitalisées dans les hôpitaux, y compris les
hôpitaux catholiques. Mais l’assistance spirituelle et les doutes qui se
font jour, dans certaines circonstances ou contextes particuliers, sur
la célébration des sacrements pour ceux qui souhaitent mettre fin à leur
vie, exigent aujourd’hui une intervention plus claire et plus précise
de la part de l’Église afin de :
? réaffirmer le message de
l’Évangile et ses expressions comme fondements doctrinaux proposés par
le Magistère, en rappelant la mission de ceux qui sont en contact avec
les malades dans les phases critiques et terminales (membres de la
famille ou tuteurs légaux, aumôniers d’hôpitaux, ministres
extraordinaires de l’Eucharistie et agents pastoraux, bénévoles
d’hôpitaux et personnel de santé) ainsi que des malades eux-mêmes ;
?
fournir des orientations pastorales précises et concrètes pour qu’au
niveau local ces situations complexes puissent être affrontées et gérées
afin de favoriser la rencontre personnelle du patient avec l’Amour
miséricordieux de Dieu.
Prendre soin du prochain
Il
est difficile de reconnaître la valeur profonde de la vie humaine
lorsque, malgré tous les efforts déployés, elle continue à nous
apparaître dans sa faiblesse et sa fragilité. La souffrance, loin d’être
éloignée de l’horizon existentiel de la personne, continue à alimenter
une question sans fin sur le sens de la vie.[6]La solution à cette
question dramatique ne pourra jamais être fournie uniquement à la
lumière de la pensée humaine, car la souffrance contient la grandeur
d’un mystère spécifique que seule la Révélation de Dieu peut
dévoiler.[7] En particulier, à chaque agent de santé est confiée la
mission de protéger fidèlement la vie humaine jusqu’à son achèvement
naturel,[8] à travers un parcours d’assistance capable de redonner à
chaque patient le sens profond de son existence, lorsqu’elle est marquée
par la souffrance et la maladie. C’est pourquoi il semble nécessaire de
partir d’une réflexion approfondie sur la signification propre des
soins, afin de comprendre la signification de la mission spécifique
confiée par Dieu à chaque personne, agent de santé ou de pastorale,
ainsi qu’au malade lui-même et à sa famille.
L’expérience des
soins médicaux part de cette condition humaine, marquée par la finitude
et la limite, qui est la vulnérabilité. Par rapport à la personne, elle
s’inscrit dans la fragilité de notre être, à la fois “corps”,
matériellement et temporellement fini, et “âme”, désir d’infini et vers
une destination éternelle. Le fait que nous soyons des créatures
“finies” et en même temps destinées à l’éternité révèle tant notre
dépendance à l’égard des biens matériels et de l’aide mutuelle des
hommes que notre lien original et profond avec Dieu. Cette vulnérabilité
fonde l’éthique des soins, en particulier dans le domaine médical,
comprise comme une sollicitude, une attention, un partage et une
responsabilité envers les femmes et les hommes qui nous sont confiés
parce qu’ils ont besoin d’assistance physique et spirituelle.
En
particulier, la relation de soin révèle un principe de justice, dans sa
double dimension de promotion de la vie humaine (suum cuique tribuere)
et de non-préjudice envers la personne (alterum non laedere) : le même
principe que Jésus transforme en règle d’or positive « Tout ce que vous
voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous
aussi » (Mt 7, 12). Cette règle trouve un écho dans l’aphorisme primum
non nocere de l’éthique médicale traditionnelle.
Le soin de la
vie est donc la première responsabilité que le médecin expérimente lors
de la rencontre avec le patient. Il n’est pas réductible à la capacité
de guérir la personne malade, car son horizon anthropologique et moral
est plus large : même lorsque la guérison est impossible ou improbable,
l’accompagnement en soins infirmiers (soins des fonctions physiologiques
essentielles du corps), psychologiques et spirituels est un devoir
incontournable, car le contraire constituerait un abandon inhumain du
malade. En effet la médecine, qui fait appel à de nombreuses sciences,
possède également une dimension importante d’“art thérapeutique” qui
implique une relation étroite entre le patient, les personnels de santé,
les membres de la famille et ceux des diverses communautés auxquelles
le malade appartient : l’art thérapeutique, les actes cliniques et le
soin sont indissociablement liés dans la pratique médicale, en
particulier dans les phases critiques et terminales de la vie.
Le
Bon Samaritain, en effet, « non seulement se fait proche, mais il prend
en charge cet homme qu’il voit à moitié mort sur le bord de la route
».[9]Il dépense pour lui non seulement l’argent qu’il a, mais aussi
l’argent qu’il n’a pas et espère gagner à Jéricho, en promettant qu’il
paiera à son retour. Ainsi, le Christ nous invite à mettre notre
confiance en sa grâce invisible et nous pousse à une générosité fondée
sur la charité surnaturelle, en s’identifiant à chaque malade : « Chaque
fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères,
c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). L’affirmation de Jésus
est une vérité morale de portée universelle : « il s’agit de “prendre
soin” de toute la vie et de la vie de tous »,[10]pour révéler l’Amour
originel et inconditionnel de Dieu, source du sens de toute vie.
À
cette fin, notamment dans les hôpitaux et les établissements de soins
inspirés par les valeurs chrétiennes, il est plus que jamais nécessaire
de faire un effort, même spirituel, pour laisser place à une relation
fondée sur la reconnaissance de la fragilité et de la vulnérabilité de
la personne malade. La faiblesse, en effet, nous rappelle notre
dépendance à l’égard de Dieu et nous invite à répondre avec le respect
dû au prochain. De là naît la responsabilité morale, liée à la
conscience de toute personne qui prend soin du malade (médecin,
infirmier, membre de la famille, bénévole, pasteur) d’être en présence
d’un bien fondamental et inaliénable – la personne humaine – qui impose
de ne pas pouvoir dépasser la limite dans laquelle le respect de soi et
des autres se situe, c’est-à-dire l’accueil, la protection et la
promotion de la vie humaine jusqu’à la survenue naturelle de la mort. Il
s’agit, en ce sens, d’avoir un regard contemplatif,[11] qui sait saisir
dans sa propre existence et celle des autres un prodige unique et
irremplaçable, reçu et accueilli comme un don. C’est le regard de celui
qui ne prétend pas prendre possession de la réalité de la vie, mais sait
l’accueillir telle qu’elle est, avec ses efforts et ses souffrances, en
essayant de reconnaître dans la maladie un sens à partir duquel il se
laisse interroger et “guider”, avec la confiance de qui s’abandonne au
Seigneur de la vie, qui s’y manifeste.
Assurément, la médecine
doit accepter la limite de la mort comme faisant partie de la condition
humaine. Il arrive un moment où il suffit de reconnaître l’impossibilité
d’intervenir avec des thérapies spécifiques sur une maladie qui se
présente comme mortelle à bref délai. C’est un fait dramatique, qui doit
être communiqué au malade avec une grande humanité et aussi avec une
ouverture confiante à la perspective surnaturelle, conscient de
l’angoisse que la mort génère, surtout dans une culture qui la cache. En
effet, on ne peut pas considérer la vie physique comme une chose à
préserver à tout prix – ce qui est impossible –, mais comme une chose à
vivre en parvenant à une libre acceptation du sens de l’existence
corporelle : « ce n’est qu’en référence à la personne humaine dans sa
“totalité unifiée”, c’est-à-dire “une âme qui s’exprime dans un corps et
un corps animé par un esprit immortel”, que l’on peut déchiffrer le
sens spécifiquement humain du corps ».[12]
Reconnaître
l’impossibilité de guérir dans la perspective de la mort prochaine ne
signifie cependant pas la fin de l’action médicale et infirmière.
Exercer une responsabilité envers le malade, c’est veiller à ce qu’il
soit soigné jusqu’au bout : « guérir si possible, toujours prendre soin
(to cure if possible, always to care) ».[13]Cette volonté de toujours
soigner la personne malade offre le critère permettant d’évaluer les
différentes actions à entreprendre dans la situation de maladie
“incurable” : incurable, en effet, n’est jamais synonyme de “non
soignable”. Le regard contemplatif appelle à un élargissement de la
notion de soin. L’objectif des traitements doit viser l’intégrité de la
personne, en garantissant avec les moyens appropriés et nécessaires un
soutien physique, psychologique, social, familial et religieux. La foi
vivante maintenue dans les âmes de ceux qui l’entourent peut contribuer à
la véritable vie théologale de la personne malade, même si cela n’est
pas immédiatement visible. Le soin pastoral qui incombe à tous, membres
de la famille, médecins, infirmiers et aumôniers, peut aider le malade à
persévérer dans la grâce sanctifiante et à mourir dans la charité, dans
l’Amour de Dieu. Face à l’inéluctabilité de la maladie, en effet,
surtout si elle est chronique et dégénérative, si la foi fait défaut, la
peur de la souffrance et de la mort, et le découragement qui en
découle, sont aujourd’hui les principales causes de la tentative de
contrôler et de gérer la survenue de la mort, voire de l’anticiper, avec
la demande d’euthanasie ou de suicide assisté.
L’expérience vivante du Christ souffrant
et l’annonce de l’espérance
Si
la figure du Bon Samaritain éclaire d’une lumière nouvelle la pratique
des soins, c’est dans l’expérience vivante du Christ souffrant, de son
agonie sur la Croix et de sa résurrection que se manifeste la proximité
du Dieu fait homme avec les nombreuses formes d’angoisse et de douleur
qui peuvent toucher les malades et leurs familles, pendant les longs
jours de la maladie et en fin de vie.
Non seulement la personne
du Christ est annoncée par les paroles du prophète Isaïe comme un homme
familier de la douleur et de la souffrance (cf. Is 53), mais si nous
relisons les pages de la Passion du Christ, nous y trouvons l’expérience
de l’incompréhension, de la dérision, de l’abandon, de la douleur
physique et de l’angoisse. Ce sont des expériences qui touchent
aujourd’hui de nombreux malades, souvent considérés comme un fardeau
pour la société ; leurs questions ne sont parfois pas comprises, ils
vivent souvent des formes d’abandon affectif, de rupture des liens.
Tout
malade a besoin non seulement d’être écouté, mais de comprendre que son
interlocuteur “sait” ce que signifie se sentir seul, abandonné,
angoissé face à la perspective de la mort, à la douleur de la chair, à
la souffrance qui surgit lorsque le regard de la société mesure sa
valeur en termes de qualité de vie et lui fait sentir qu’il est un
fardeau pour les projets des autres. Pour cette raison, tourner son
regard vers le Christ signifie savoir que l’on peut faire appel à celui
qui a vécu dans sa chair la douleur du fouet et des clous, la dérision
des flagellateurs, l’abandon et la trahison des amis les plus chers.
Face
au défi de la maladie et en présence d’un malaise émotionnel et
spirituel chez celui qui vit l’expérience de la douleur, émerge,
inexorablement, la nécessité de savoir dire un mot de réconfort, tiré de
la compassion pleine d’espérance de Jésus sur la Croix. Une espérance
crédible, celle professée par le Christ sur la Croix, capable
d’affronter le moment de l’épreuve, le défi de la mort. Dans la Croix du
Christ – chantée par la liturgie du Vendredi Saint : Ave crux, spes
unica – sont concentrés et résumés tous les maux et souffrances du
monde. Tout le mal physique, dont la croix, en tant qu’instrument de
mort infâme et infâmant, est l’emblème ; tout le mal psychologique,
exprimé par la mort de Jésus dans la plus obscure solitude, l’abandon et
la trahison ; tout le mal moral, manifesté dans la condamnation à mort
de l’Innocent ; tout le mal spirituel, mis en évidence à travers la
désolation qui fait ressentir le silence de Dieu.
Le Christ est
celui qui a ressenti autour de lui le douloureux désarroi de sa Mère et
de ses disciples, qui “se tiennent debout” au pied de la Croix : dans
cet “être debout” qui est le leur, apparemment lourd d’impuissance et de
résignation, il y a toute la proximité affective qui permet au Dieu
fait homme de vivre aussi ces heures qui semblent dépourvues de sens.
Et
puis il y a la Croix : en fait un instrument de torture et d’exécution
réservé aux derniers des derniers, si semblable, dans sa charge
symbolique, à ces maladies qui clouent au lit, qui ne laissent prévoir
que la mort et semblent enlever tout sens au temps et à son écoulement.
Et pourtant, ceux qui “se tiennent debout” autour du malade ne sont pas
seulement des témoins, mais un signe vivant de ces affects, de ces
liens, de cette disposition intime à aimer, qui permettent à la personne
souffrante de trouver sur soi un regard humain capable de redonner un
sens au temps de la maladie. Parce que, dans l’expérience de se sentir
aimé, toute la vie trouve sa justification. Le Christ a toujours été
soutenu, sur le chemin de sa passion, par la croyance confiante en
l’amour du Père, lequel s’est également manifesté, durant les heures de
la Croix, à travers l’amour de sa Mère. Parce que l’Amour de Dieu se
manifeste toujours, dans l’histoire de l’humanité, grâce à l’amour de
qui ne nous abandonne pas, de qui “se tient debout”, malgré tout, à nos
côtés.
Si nous réfléchissons à la fin de vie des personnes, nous
ne pouvons pas oublier qu’elles sont souvent préoccupées par ceux
qu’elles laissent derrière elles : leurs enfants, leur conjoint, leurs
parents, leurs amis. Une composante humaine que nous ne pouvons jamais
négliger et à laquelle il faut apporter soutien et aide.
C’est la
préoccupation même du Christ, qui avant de mourir pense à sa Mère qui
restera seule, dans une douleur qu’elle devra porter dans l’histoire.
Dans le récit épuré de l’Évangile de Jean, c’est vers sa Mère que le
Christ se tourne pour la rassurer, pour la confier au disciple bien-aimé
afin que celui-ci prenne soin d’elle : “Mère, voici ton fils” (cf. Jn
19, 26-27). Le temps de la fin de vie est un temps de relations, un
temps où la solitude et l’abandon doivent être dépassés (cf. Mt 27, 46
et Mc 15, 34), en vue d’une remise confiante de sa vie à Dieu (cf. Lc
23, 46).
Dans cette perspective, regarder le Crucifié signifie
voir une scène chorale, dans laquelle le Christ est au centre parce
qu’il résume dans sa propre chair et transfigure réellement les heures
les plus sombres de l’expérience humaine, celles où la possibilité du
désespoir apparaît, silencieuse. La lumière de la foi nous fait saisir,
dans cette description plastique et dépouillée que nous donnent les
Évangiles, la Présence trinitaire, parce que le Christ se confie au Père
grâce à l’Esprit Saint qui soutient la Mère et les disciples, lesquels
“se tiennent debout” et, dans cet “être debout” qui est le leur près de
la Croix, participent, par leur dévouement humain envers le Souffrant,
au mystère de la Rédemption.
Ainsi, bien que marquée par une
douloureuse disparition, la mort peut devenir l’occasion d’une plus
grande espérance, grâce précisément à la foi, qui nous fait participer à
l’œuvre rédemptrice du Christ. En effet, la douleur n’est
existentiellement supportable que là où il y a l’espérance. L’espérance
que le Christ transmet aux souffrants et aux malades est celle de sa
présence, de sa réelle proximité. L’espérance n’est pas seulement
l’attente d’un avenir meilleur, c’est un regard sur le présent, qui le
rend plein de sens. Dans la foi chrétienne, l’événement de la
Résurrection non seulement dévoile la vie éternelle, mais rend manifeste
que dans l’histoire, le mot ultime n’est jamais la mort, la douleur, la
trahison, le mal. Le Christ ressuscite dans l’histoire et, dans le
mystère de la Résurrection, se trouve confirmé l’amour du Père qui
n’abandonne jamais.
Dans ces conditions, relire l’expérience
concrète du Christ souffrant signifie donner aux hommes d’aujourd’hui
une espérance capable de donner un sens au temps de la maladie et de la
mort. Cette espérance, c’est l’amour qui résiste à la tentation du
désespoir.
Aussi importants et précieux soient-ils, les soins
palliatifs ne suffisent pas si personne ne “se tient” aux côtés du
malade et ne témoigne de sa valeur unique et irremplaçable. Pour le
croyant, regarder le Crucifié signifie avoir confiance en la
compréhension et en l’Amour de Dieu : il est important, dans une époque
historique où l’autonomie est exaltée et l’individu célébré, de se
rappeler que, s’il est vrai que chacun vit sa propre souffrance, sa
propre douleur et sa propre mort, ces expériences sont toujours chargées
du regard et de la présence des autres. Autour de la Croix, il y a
aussi les fonctionnaires de l’État romain, il y a les curieux, il y a
les distraits, les indifférents et les rancuniers ; ils sont sous la
Croix, mais ne “se tiennent” pas avec le Crucifié.
Dans les
services de soins intensifs, dans les maisons de soins pour malades
chroniques, chacun peut choisir d’être présent comme quelqu’un qui
accomplit une fonction ou bien comme une personne qui “se tient” auprès
du malade.
L’expérience de la Croix permet donc d’offrir à la
personne souffrante un interlocuteur crédible à qui adresser la parole
et les pensées, à qui remettre son angoisse et sa peur : à ceux qui
prennent soin du malade, la scène de la Croix fournit un élément
supplémentaire pour comprendre que, même lorsqu’il semble qu’il n’y a
plus rien à faire, il reste encore beaucoup à faire, car “se tenir” est
un des signes de l’amour et de l’espérance qu’il porte avec lui.
L’annonce de la vie après la mort n’est pas une illusion ou une
consolation, mais une certitude qui réside au cœur de l’amour, lequel ne
disparaît pas avec la mort.
III. Le “cœur qui voit” du Samaritain :
la vie humaine est un don sacré et inviolable
L’homme,
quelle que soit sa condition physique ou psychique, conserve sa dignité
originelle d’être créé à l’image de Dieu. Il peut vivre et grandir dans
la splendeur divine parce qu’il est appelé à être “à l’image et à la
gloire de Dieu” (1 Co 11, 7 ; 2 Co 3, 18). Sa dignité est dans cette
vocation. Dieu s’est fait Homme pour nous sauver, nous promettant le
salut et nous destinant à la communion avec lui : c’est là le fondement
ultime de la dignité humaine.[14]
Il appartient à l’Église
d’accompagner avec miséricorde les plus faibles sur leur chemin de
douleur, afin de maintenir en eux la vie théologale et de les orienter
vers le salut de Dieu.[15] Elle est l’Église du Bon Samaritain,[16]qui «
considère le service aux malades comme une partie intégrante de sa
mission ».[17] Comprendre cette médiation salvifique de l’Église dans
une perspective de communion et de solidarité entre les hommes est une
aide essentielle pour dépasser toute tendance réductionniste et
individualiste.[18]
En particulier, le programme du Bon
Samaritain est “un cœur qui voit”. Il « enseigne qu’il est nécessaire de
convertir le regard du cœur parce que souvent, celui qui regarde ne
voit pas. Pourquoi? […] Sans la compassion, celui qui regarde n’est pas
impliqué dans ce qu’il observe et il passe outre; en revanche, celui qui
a un cœur compatissant est touché et impliqué, il s’arrête et prend
soin de l’autre ».[19]Ce cœur voit où il y a besoin d’amour et agit en
conséquence.[20]Les yeux perçoivent dans la faiblesse un appel de Dieu à
agir en reconnaissant dans la vie humaine le premier bien commun de la
société.[21]La vie humaine est un bien très élevé et la société est
appelée à le reconnaître. La vie est un don[22]sacré et inviolable et
chaque homme, créé par Dieu, a une vocation transcendante et une
relation unique avec Celui qui donne la vie, car « Dieu invisible, en
son grand amour »,[23]offre à chaque homme un plan de salut, de telle
sorte que l’on peut affirmer : « La vie est toujours un bien. C’est là
une intuition et même une donnée d’expérience dont l’homme est appelé à
saisir la raison profonde ».[24]C’est pourquoi l’Église est toujours
heureuse de collaborer avec tous les hommes de bonne volonté, avec les
croyants d’autres confessions ou religions, ou avec les non-croyants qui
respectent la dignité de la vie humaine, même dans ses phases extrêmes
de souffrance et de mort, et rejettent tout acte contraire à
celle-ci.[25] Dieu Créateur, en effet, offre à l’homme sa vie et sa
dignité comme un don précieux à préserver et à développer, dont il devra
ultimement Lui rendre compte.
L’Église affirme le sens positif
de la vie humaine comme une valeur déjà perceptible par la droite
raison, que la lumière de la foi confirme et valorise dans sa dignité
inaliénable.[26] Il ne s’agit pas d’un critère subjectif ou arbitraire,
mais bien plutôt d’un critère fondé sur la dignité naturelle et
inviolable – puisque la vie est le premier bien en tant que condition de
la jouissance de tout autre bien – et sur la vocation transcendante de
tout être humain, appelé à partager l’Amour trinitaire du Dieu vivant
:[27] « l’amour très particulier que le Créateur a pour chaque être
humain “lui confère une dignité infinie” ».[28]La valeur inviolable de
la vie est une vérité primordiale de la loi morale naturelle et un
fondement essentiel de l’ordre juridique. De même que nous ne pouvons
accepter qu’un autre homme soit notre esclave, même s’il nous le
demande, nous ne pouvons choisir directement de porter atteinte à la vie
d’un être humain, même s’il l’exige. Par conséquent, supprimer un
malade qui demande l’euthanasie ne signifie pas du tout reconnaître son
autonomie et la valoriser, mais signifie au contraire méconnaître la
valeur de sa liberté, fortement conditionnée par la maladie et la
douleur, et la valeur de sa vie, en lui refusant toute possibilité
ultérieure de relation humaine, de sens de l’existence et de croissance
dans la vie théologale. De plus, on décide du moment de la mort à la
place de Dieu. Pour cette raison, « l’avortement, l’euthanasie et même
le suicide délibéré […] corrompent la civilisation, déshonorent ceux qui
s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent
gravement à l’honneur du Créateur ».[29]
Les obstacles culturels
qui obscurcissent la valeur sacrée de toute vie humaine
Certains
facteurs limitent aujourd’hui la capacité à saisir la valeur profonde
et intrinsèque de chaque vie humaine : le premier est la référence à une
utilisation équivoque du concept de “mort digne” en lien avec celui de
“qualité de vie”. Une perspective anthropologique utilitariste émerge
ici, qui est « principalement liée aux possibilités économiques, au
“bien-être”, à la beauté et à la jouissance de la vie physique, en
oubliant d’autres dimensions plus profondes — relationnelles,
spirituelles et religieuses — de l’existence ».[30] En vertu de ce
principe, la vie n’est considérée comme digne que si elle présente un
niveau de qualité acceptable, selon le jugement du sujet lui-même ou de
tiers, en ce qui concerne la présence-absence de certaines fonctions
psychiques ou physiques voire, souvent, par rapport à la simple présence
d’un malaise psychologique. Selon cette approche, lorsque la qualité de
vie semble médiocre, elle ne mérite pas d’être maintenue. Ainsi,
cependant, on ne reconnaît plus que la vie humaine a une valeur en soi.
Un
deuxième obstacle qui obscurcit la perception du caractère sacré de la
vie humaine est une mauvaise compréhension de la “compassion”[31].
Devant une souffrance qualifiée d’“insupportable”, mettre un terme à la
vie du patient se justifie au nom de la “compassion”. Pour ne pas
souffrir, il vaut mieux mourir : c’est l’euthanasie dite
“compassionnelle”. Il serait compatissant d’aider le patient à mourir
par euthanasie ou suicide assisté. En réalité, la compassion humaine ne
consiste pas à provoquer la mort, mais à accueillir le malade, à le
soutenir dans ses difficultés, à lui offrir de l’affection, de
l’attention et les moyens de soulager sa souffrance.
Le troisième
facteur qui rend difficile la reconnaissance de la valeur de sa propre
vie et de celle des autres dans le cadre des relations intersubjectives
est un individualisme croissant, qui conduit à considérer les autres
comme une limite et une menace à sa propre liberté. A la base d’une
telle attitude, il y a « un néo-pélagianisme, qui donne à l’individu,
radicalement autonome, la prétention de se sauver lui-même, sans
reconnaître qu’au plus profond de son être, il dépend de Dieu et des
autres […]. De son côté, un certain néo-gnosticisme présente un salut
purement intérieur, enfermé dans le subjectivisme »[32], qui espère la
libération de la personne des limites de son corps, surtout quand
celui-ci est fragile et souffrant.
L’individualisme, en
particulier, est à l’origine de ce que l’on considère comme la maladie
la plus latente de notre époque : la solitude[33], qui, dans certains
contextes normatifs, est même considérée comme un “droit à la solitude”,
à partir de l’autonomie de la personne et du “principe de
permission-consentement” : une permission-consentement qui, compte tenu
de certaines conditions de maladie ou d’infirmité, peut s’étendre au
choix de continuer ou non à vivre. C’est le même “droit” qui sous-tend
l’euthanasie et le suicide assisté. L’idée de base est que ceux qui se
trouvent dans une condition de dépendance et ne peuvent être considérés
comme étant en parfaite autonomie et réciprocité sont en fait pris en
charge moyennant une faveur. Le concept de bien est ainsi réduit au
résultat d’un accord social : chacun reçoit les soins et l’assistance
que l’autonomie ou le profit social et économique rendent possibles ou
opportuns. Il en résulte un appauvrissement des relations
interpersonnelles, qui deviennent fragiles, dépourvues de charité
surnaturelle, de la solidarité humaine et du soutien social si
nécessaires pour faire face aux moments et aux décisions les plus
difficiles de l’existence.
Cette façon de concevoir les relations
humaines et la signification du bien ne peut qu’affecter le sens même
de la vie, la rendant facilement manipulable, y compris par des lois qui
légalisent les pratiques euthanasiques, provoquant la mort des malades.
Ces actions sont cause d’une grave insensibilité à l’égard de la
personne malade et déforment les relations. Dans de telles
circonstances, des dilemmes non fondés se présentent parfois quant à la
moralité d’actes qui, en réalité, ne sont rien d’autre que des actes dus
à la simple prise en charge de la personne, comme par exemple hydrater
et nourrir un malade en état d’inconscience sans perspective de
guérison.
Sous ce rapport, le pape François a parlé de « culture
du déchet ».[34]Les victimes de cette culture sont précisément les êtres
humains les plus fragiles, qui risquent d’être “mis au rebut” par un
mécanisme qui se veut à tout prix efficace. Il s’agit d’un phénomène
culturel fortement contraire à la solidarité, que Jean-Paul II a décrit
comme une « culture de mort » et qui crée d’authentiques « structures de
péché ».[35]Il peut inciter à commettre des actes mauvais pour la seule
raison de “se sentir bien” en les commettant, ce qui entraîne une
confusion entre le bien et le mal, alors que chaque vie personnelle a
une valeur unique et irremplaçable, toujours pleine de promesses et
ouverte à la transcendance. Dans cette culture du déchet et de la mort,
l’euthanasie et le suicide assisté apparaissent comme une solution
erronée pour résoudre les problèmes liés au patient en phase terminale.
L’enseignement du Magistère
L’interdiction de l’euthanasie et du suicide assisté
L’Église,
dans sa mission de transmettre aux fidèles la grâce du Rédempteur et la
sainte loi de Dieu, déjà perceptible dans les préceptes de la loi
morale naturelle, ressent le devoir d’intervenir ici pour exclure une
fois de plus toute ambiguïté quant à l’enseignement du Magistère sur
l’euthanasie et le suicide assisté, même dans les contextes où les lois
nationales ont légitimé de telles pratiques.
En particulier, la
diffusion de protocoles médicaux applicables aux situations de fin de
vie, tels que le Do Not Resuscitate Order ou le Physician Orders for
Life Sustaining Treatment – avec toutes leurs variantes suivant les
réglementations et les contextes nationaux, initialement conçus comme
des instruments permettant d’éviter l’acharnement thérapeutique dans les
phases terminales de la vie –, pose aujourd’hui de graves problèmes par
rapport au devoir de protéger la vie des patients dans les phases les
plus critiques de la maladie. Si, d’une part, les médecins se sentent de
plus en plus liés par l’autodétermination exprimée par les patients
dans ces déclarations, qui va désormais jusqu’à les priver de leur
liberté et de leur devoir d’agir pour protéger la vie même lorsqu’ils
pourraient le faire, d’autre part, dans certains contextes sanitaires,
il est préoccupant de constater l’abus désormais largement dénoncé quant
à l’utilisation de ces protocoles dans une perspective d’euthanasie,
lorsque les patients, et encore moins les familles, ne sont pas
consultés dans la décision ultime. Cela se produit surtout dans les pays
où les lois sur la fin de vie laissent aujourd’hui une grande marge
d’ambiguïté au sujet de l’application du devoir de soin, en ayant
introduit la pratique de l’euthanasie.
Pour ces raisons, l’Église
considère nécessaire de réaffirmer comme un enseignement définitif que
l’euthanasie est un crime contre la vie humaine parce que, par un tel
acte, l’homme choisit de causer directement la mort d’un autre être
humain innocent. La définition de l’euthanasie ne procède pas de la mise
en balance des biens ou des valeurs en jeu, mais d’un objet moral
dûment spécifié, c’est-à-dire du choix d’ « une action ou une omission
qui, de soi ou dans l’intention, donne la mort afin de supprimer ainsi
toute douleur ».[36]« L’euthanasie se situe donc au niveau des
intentions et à celui des procédés employés ».[37]Son évaluation morale,
et celle de ses conséquences, ne dépend donc pas d’un équilibrage entre
des principes qui, selon les circonstances et la souffrance du patient,
pourraient, selon certains, justifier la suppression de la personne
malade. Valeur de la vie, autonomie, capacité de décision et qualité de
vie ne se situent pas au même niveau.
L’euthanasie est donc un
acte intrinsèquement mauvais, quelles que soient l’occasion ou les
circonstances. L’Église a déjà dans le passé affirmé de manière
définitive « que l’euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu,
en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne
humaine. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole
de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Église et
enseignée par le Magistère ordinaire et universel. Une telle pratique
comporte, suivant les circonstances, la malice propre au suicide ou à
l’homicide ».[38]Toute coopération immédiate, formelle ou matérielle, à
un tel acte est un grave péché contre la vie humaine: « Aucune autorité
ne peut légitimement l’imposer, ni même l’autoriser. Il y a là violation
d’une loi divine, offense à la dignité de la personne humaine, crime
contre la vie, attentat contre l’humanité ».[39]L’euthanasie est donc un
acte meurtrier qu’aucune fin ne peut légitimer et qui ne tolère aucune
forme de complicité ou de collaboration, active ou passive. Ceux qui
adoptent des lois sur l’euthanasie et le suicide assisté sont donc
complices du grave péché que d’autres commettront. Ils sont également
coupables de scandale car ces lois contribuent à déformer la conscience,
même des fidèles.[40]
La vie a la même dignité et la même valeur
pour tous : le respect de la vie de l’autre est le même que celui que
l’on doit à sa propre existence. Une personne qui choisit en toute
liberté de s’ôter la vie rompt sa relation avec Dieu et avec les autres
et se nie elle-même en tant que sujet moral. Le suicide assisté en
augmente la gravité, dans la mesure où il fait participer un autre à son
propre désespoir, l’amenant à ne pas orienter sa volonté vers le
mystère de Dieu par la vertu théologale d’espérance et, par conséquent, à
ne pas reconnaître la vraie valeur de la vie et à rompre l’alliance qui
constitue la famille humaine. Aider les suicidaires est une
collaboration indue à un acte illicite, qui contredit le rapport
théologal avec Dieu et la relation morale qui unit les gens pour qu’ils
partagent le don de la vie et le sens de leur propre existence.
Même
si la demande d’euthanasie naît de l’angoisse et du désespoir,[41] et «
si, en de tels cas, la responsabilité personnelle peut être diminuée ou
même supprimée, l’erreur de jugement de la conscience – fût-elle de
bonne foi – ne modifie pas la nature du geste meurtrier, qui demeure en
soi inacceptable ».[42]Il en va de même pour le suicide assisté. De
telles pratiques ne sont jamais une aide réelle au malade, mais une aide
à la mort.
Il s’agit donc d’un choix toujours erroné : « le
personnel médical et les autres personnels de santé – fidèles au devoir
de “toujours être au service de la vie et de l’assister jusqu’au bout” –
ne peuvent se prêter à aucune pratique euthanasique, même à la demande
de la personne concernée, encore moins de ses proches. Il n’existe en
effet aucun droit de disposer arbitrairement de sa vie, de sorte
qu’aucun agent de santé ne peut devenir le tuteur exécutif d’un droit
inexistant »[43].
C’est pourquoi l’euthanasie et le suicide
assisté sont une défaite pour ceux qui les théorisent, ceux qui les
décident et ceux qui les pratiquent.[44]
Sont donc gravement
injustes les lois qui légalisent l’euthanasie, ou celles qui justifient
le suicide et l’aide au suicide par le faux droit de choisir une mort
improprement définie comme digne pour le seul fait d’avoir été
choisie.[45] Ces lois affectent le fondement de l’ordre juridique : le
droit à la vie, qui soutient tout autre droit, y compris l’exercice de
la liberté humaine. L’existence de ces lois nuit profondément aux
relations humaines, à la justice et menace la confiance mutuelle entre
les hommes. Les systèmes juridiques qui ont légitimé le suicide assisté
et l’euthanasie montrent également une nette aggravation de ce phénomène
social. Le pape François rappelle que « le contexte socio-culturel
actuel mine progressivement la conscience de ce qui rend la vie humaine
précieuse. En effet, celle-ci est de plus en plus souvent évaluée en
raison de son efficacité et de son utilité, à tel point que l’on
considère comme des “vies au rebut” ou des “vies indignes” celles qui ne
répondent pas à ce critère. Dans cette situation de perte des valeurs
authentiques, les devoirs impératifs de solidarité et de fraternité
humaine et chrétienne disparaissent. En réalité, une société mérite
d’être qualifiée de “civile” si elle développe les anticorps contre la
culture du déchet, si elle reconnaît la valeur intangible de la vie
humaine, si la solidarité est effectivement pratiquée et sauvegardée
comme fondement de la coexistence ».[46]Dans certains pays du monde, des
dizaines de milliers de personnes sont déjà mortes d’euthanasie,
beaucoup d’entre elles parce qu’elles se sont plaintes de souffrances
psychologiques ou de dépression. Et des abus sont fréquemment signalés
par les propres médecins de personnes dont on a supprimé la vie alors
qu’elles n’auraient jamais souhaité pour elles-mêmes l’application de
l’euthanasie. La demande de mort, en fait, dans de nombreux cas, est un
symptôme de la maladie elle-même, aggravé par l’isolement et le
découragement. L’Église voit dans ces difficultés une occasion de
purification spirituelle, qui approfondit l’espérance, afin qu’elle
devienne vraiment théologale, centrée sur Dieu et seulement sur Dieu
Plutôt
que de verser dans une fausse condescendance, le chrétien doit offrir
au malade l’aide indispensable pour sortir de son désespoir. Le
commandement « Tu ne tueras point » (Ex 20, 13 ; Dt 5, 17) est en effet
un oui à la vie, dont Dieu est garant : il « devient l’appel à un amour
prompt à soutenir et à promouvoir la vie du prochain ».[47]Le chrétien
sait donc que la vie terrestre n’est pas la valeur suprême. Le bonheur
ultime est au Ciel. Ainsi, le chrétien ne prétendra pas que la vie
physique doive continuer alors que la mort est manifestement proche. Le
chrétien aidera l’homme mourant à se libérer du désespoir et à mettre
son espérance en Dieu.
D’un point de vue clinique, les facteurs
qui déterminent en majorité la demande d’euthanasie et de suicide
assisté sont : la douleur non traitée ; le manque d’espérance, humaine
et théologale, que provoque notamment une assistance humaine,
psychologique et spirituelle souvent inadaptée de la part de ceux qui
prennent soin du malade.[48]
C’est ce que confirme l’expérience :
« les supplications de très grands malades demandant parfois la mort ne
doivent pas être comprises comme l’expression d’une vraie volonté
d’euthanasie ; elles sont en effet presque toujours des demandes
angoissées d’aide et d’affection. Au-delà de l’aide médicale, ce dont a
besoin le malade, c’est de l’amour, de la chaleur humaine et
surnaturelle que peuvent et doivent lui apporter tous ses proches,
parents et enfants, médecins et infirmières ».[49]Le malade qui se sent
entouré par la présence humaine et chrétienne aimante surmonte toutes
les formes de dépression et ne tombe pas dans l’angoisse de ceux qui, au
contraire, se sentent seuls et abandonnés à leur destinée de souffrance
et de mort.
L’homme, en effet, vit la douleur non seulement
comme un fait biologique qu’il faut traiter pour le rendre supportable,
mais aussi comme le mystère de la vulnérabilité humaine par rapport à la
fin de la vie physique, un événement difficile à accepter puisque
l’unité du corps et de l’âme est essentielle pour l’homme.
Par
conséquent, ce n’est qu’en conférant une nouvelle signification à
l’événement même de la mort – par l’ouverture en son sein d’un horizon
de vie éternelle annonciateur de la destinée transcendante de chaque
personne – que l’on peut aborder la “fin de vie” d’une manière qui soit
appropriée à la dignité humaine et adaptée au travail et à la souffrance
qui produisent inévitablement le sens de la fin imminente. En effet, «
La souffrance est quelque chose d’encore plus ample que la maladie, de
plus complexe et en même temps plus profondément enraciné dans
l’humanité elle-même ».[50]Et cette souffrance, avec l’aide de la grâce,
peut être animée de l’intérieur par la charité divine, tout comme dans
le cas de la souffrance du Christ sur la Croix.
Pour cette
raison, la capacité de ceux qui assistent une personne souffrant d’une
maladie chronique ou en phase terminale de la vie, doit être de “savoir
demeurer”, de veiller avec ceux qui souffrent de l’angoisse de mourir,
de “consoler”, c’est-à-dire d’être-avec dans la solitude, d’être une
présence partagée qui ouvre à l’espérance.[51] Par la foi et la charité
exprimées dans l’intimité de l’âme, en effet, la personne qui assiste
est capable de souffrir la douleur de l’autre et de s’ouvrir à une
relation personnelle avec le faible qui élargit les horizons de la vie
bien au-delà de l’événement de la mort, devenant ainsi une présence
pleine d’espérance.
« Pleurez avec ceux qui pleurent » (Rm 12,
15), car il est heureux celui qui compatit au point de pleurer avec les
autres (cf. Mt 5, 4). Dans cette relation, qui devient possibilité
d’amour, la souffrance est remplie de sens dans le partage d’une
condition humaine et dans la solidarité dans le cheminement vers Dieu,
qui exprime cette alliance radicale entre les hommes[52]qui leur fait
entrevoir une lumière même au-delà de la mort. Elle nous fait voir
l’acte médical à partir d’une alliance thérapeutique entre le médecin et
le malade, liée par la reconnaissance de la valeur transcendante de la
vie et du sens mystique de la souffrance. Cette alliance est la lumière
pour comprendre un bon agir médical, en dépassant la vision
individualiste et utilitariste qui prédomine aujourd’hui.
L’obligation morale d’exclure l’acharnement thérapeutique
Le
Magistère de l’Église rappelle que, lorsqu’approche la fin de
l’existence terrestre, la dignité de la personne humaine se précise
comme le droit de mourir dans la plus grande sérénité possible et avec
la dignité humaine et chrétienne qui lui est due.[53] Protéger la
dignité de la fin de vie signifie exclure tant l’anticipation de la mort
que son report par ce qu’on appelle l’“acharnement
thérapeutique”.[54]La médecine actuelle a les moyens de retarder
artificiellement la mort, sans que le patient en retire parfois un réel
bénéfice. Dans l’imminence d’une mort inévitable, il est donc légitime,
sur le plan de la science et de la conscience, de prendre la décision de
renoncer à des traitements qui ne feraient qu’entraîner une
prolongation précaire et pénible de la vie, sans toutefois interrompre
les soins normaux dus au malade dans de tels cas.[55] Cela signifie
qu’il n’est pas permis de suspendre des soins efficaces pour soutenir
des fonctions physiologiques essentielles tant que l’organisme est
capable d’en tirer profit (soutien à l’hydratation, à la nutrition, à la
thermorégulation ; et aussi aides à la respiration et autres, adéquates
et proportionnées, dans la mesure requise pour soutenir l’homéostasie
corporelle et réduire la souffrance des organes et du système). La
suspension de toute obstination déraisonnable dans l’administration des
traitements ne doit pas être un abandon thérapeutique. Cette
clarification est essentielle aujourd’hui à la lumière des nombreux cas
juridiques qui ont conduit ces dernières années à l’abandon des soins –
et à la mort précoce – de patients en condition critique, mais non
terminale, à qui on a décidé de suspendre les soins de soutien vital, du
fait qu’ils ne présentaient plus de perspectives d’amélioration de leur
qualité de vie.
Dans le cas spécifique de l’acharnement
thérapeutique, il convient de rappeler que le renoncement à des moyens
extraordinaires et/ou disproportionnés « n’est pas équivalent au suicide
ou à l’euthanasie; il traduit plutôt l’acceptation de la condition
humaine devant la mort »[56] ou le choix réfléchi d’éviter la mise en
place d’un dispositif médical disproportionné par rapport aux résultats
que l’on peut espérer. La renonciation à de tels traitements, qui ne
conduiraient qu’à une prolongation précaire et pénible de la vie, peut
également signifier le respect de la volonté du mourant, exprimée dans
ce qu’on appelle les déclarations anticipées de traitement, mais
excluant tout acte d’euthanasie ou de suicide.[57]
La
proportionnalité, en effet, fait référence à la totalité du bien du
malade. Jamais le faux discernement moral du choix entre des valeurs
(par exemple, la vie versus la qualité de la vie) ne peut être appliqué ;
cela pourrait conduire à exclure de la réflexion la sauvegarde de
l’intégrité personnelle et de la qualité de vie et le véritable objet
moral de l’acte accompli.[58]Tout acte médical, en effet, doit toujours
avoir comme objet et comme intention l’accompagnement de la vie et
jamais la poursuite de la mort.[59]Le médecin, dans tous les cas, n’est
jamais un simple exécutant de la volonté du patient ou de son
représentant légal et conserve le droit et le devoir de se soustraire à
des volontés s’opposant au bien moral tel que sa propre conscience le
perçoit.[60]
Les soins de base : le devoir d’alimentation et d’hydratation
Le
principe fondamental et incontournable de l’accompagnement du malade
dans des conditions critiques et/ou terminales est la continuité de
l’assistance à ses fonctions physiologiques essentielles. En
particulier, un soin de base dû à chaque homme est d’administrer les
aliments et les fluides nécessaires au maintien de l’homéostasie du
corps, dans la mesure où et tant que cette administration s’avère
atteindre son propre but, qui est de procurer au patient l’hydratation
et la nutrition.[61]
Lorsque l’apport de nutriments et de
liquides physiologiques ne présente aucun avantage pour le patient parce
que son corps n’est plus capable de les absorber ou de les métaboliser,
leur administration doit être suspendue. Ainsi, la mort n’est pas
illicitement anticipée en raison de la privation de l’hydratation et du
soutien nutritionnel essentiels aux fonctions vitales, mais l’évolution
naturelle de la maladie critique ou terminale est respectée. Sinon, la
privation de ces soutiens devient une action injuste et peut être une
source de grande souffrance pour ceux qui la subissent. L’alimentation
et l’hydratation ne constituent pas une thérapie médicale au sens
propre, car elles ne s’opposent pas aux causes d’un processus
pathologique se déroulant dans le corps du patient, mais représentent un
soin dû à la personne du patient, une attention clinique et humaine
primordiale et incontournable. Le caractère obligatoire de ce soin du
malade par une hydratation et une nutrition appropriées peut, dans
certains cas, nécessiter l’utilisation d’une voie d’administration
artificielle,[62] à condition que celle-ci ne soit pas préjudiciable au
malade ou ne lui cause pas de souffrances inacceptables [63].
Les soins palliatifs
La
continuité de l’assistance inclut le devoir constant de comprendre les
besoins du malade : besoins d’assistance, soulagement de la douleur,
besoins émotionnels, affectifs et spirituels. Comme le démontre la plus
vaste expérience clinique, la médecine palliative est un outil précieux
et indispensable pour accompagner le patient dans les phases les plus
douloureuses, souffrantes, chroniques et terminales de la maladie. Les
soins dits palliatifs sont l’expression la plus authentique de l’action
humaine et chrétienne qui consiste à prendre soin, le symbole tangible
du fait “d’être debout” par compassion auprès de ceux qui souffrent. Ils
ont pour objectif « de soulager les souffrances durant la phase finale
de la maladie et d’assurer en même temps au patient un accompagnement
humain adapté »[64]dans la dignité, en améliorant – autant que possible –
la qualité de vie et le bien-être général. L’expérience montre que
l’application de soins palliatifs réduit considérablement le nombre de
personnes qui demandent l’euthanasie. À cette fin, il semble utile de
faire un effort déterminé, en fonction des possibilités économiques,
pour étendre ces soins à ceux qui en auront besoin, non seulement dans
les phases terminales de la vie, mais aussi comme une approche intégrée
des soins en relation avec toute pathologie chronique et/ou
dégénérative, qui peut avoir un pronostic complexe, douloureux et
funeste pour le patient et sa famille.[65]
L’assistance
spirituelle au malade et à sa famille fait partie des soins palliatifs.
Elle donne confiance et espérance en Dieu à la personne mourante et aux
membres de sa famille, aidant ceux-ci à accepter la mort de leur proche.
C’est une contribution essentielle que doivent apporter les agents
pastoraux et toute la communauté chrétienne, à l’instar du Bon
Samaritain, pour que le rejet fasse place à l’acceptation et que
l’espérance l’emporte sur l’angoisse,[66] surtout lorsque la souffrance
se prolonge par la dégénérescence de la pathologie, à l’approche de la
fin. À ce stade, la détermination d’une thérapie efficace pour soulager
la douleur permet au patient d’affronter la maladie et la mort sans
craindre une douleur insupportable. Ce remède devra nécessairement être
associé à un soutien fraternel permettant de surmonter le sentiment de
solitude du patient, souvent causé par le fait de ne pas se sentir
suffisamment accompagné et compris dans sa situation difficile.
La
technique ne donne pas une réponse radicale à la souffrance et on ne
peut envisager qu’elle élimine cette dernière de la vie des hommes.[67]
Une telle affirmation génère de faux espoirs, provoquant un désespoir
encore plus grand chez la personne qui souffre. La science médicale est
capable de connaître toujours mieux la douleur physique et doit déployer
les meilleurs moyens techniques pour la traiter ; mais l’horizon vital
d’une maladie terminale génère une profonde souffrance chez le malade,
qui nécessite une attention qui ne soit pas seulement technique. Spe
salvi facti sumus, c’est dans l’espérance, l’espérance théologale
orientée vers Dieu, que nous avons été sauvés, dit saint Paul (Rm 8,
24).
“Le vin de l’espérance” est la contribution spécifique de la
foi chrétienne au soin au malade et fait référence à la manière dont
Dieu surmonte le mal dans le monde. Dans la souffrance, l’homme doit
pouvoir faire l’expérience d’une solidarité et d’un amour qui assume la
souffrance, offrant à la vie un sens qui va au-delà de la mort. Tout
cela a une grande signification sociale : « Une société qui ne réussit
pas à accepter les souffrants et qui n’est pas capable de contribuer,
par la compassion, à faire en sorte que la souffrance soit partagée et
portée aussi intérieurement est une société cruelle et inhumaine ».[68]
Il
convient toutefois de souligner que la définition des soins palliatifs a
pris ces dernières années une connotation qui peut être équivoque. Dans
certains pays du monde, les réglementations nationales régissant les
soins palliatifs (Palliative Care Act) ainsi que les lois sur la “fin de
vie” (End-of-Life Law) prévoient, parallèlement aux soins palliatifs,
ce que l’on appelle l’Assistance Médicale au Décès (MAiD), qui peut
inclure la possibilité de demander l’euthanasie et le suicide assisté.
Cette disposition légale est une source de grave confusion culturelle,
car elle conduit à penser que l’assistance médicale à la mort volontaire
ferait partie intégrante des soins palliatifs et qu’il serait donc
moralement licite d’exiger l’euthanasie ou le suicide assisté.
En
outre, dans ces mêmes contextes réglementaires, les interventions
palliatives visant à réduire la souffrance des patients gravement
malades ou mourants peuvent consister à administrer des médicaments dans
l’intention d’anticiper la mort, ou à suspendre/interrompre
l’hydratation et l’alimentation, même lorsqu’il y a un pronostic en
termes de semaines ou de mois. De telles pratiques reviennent toutefois à
une action ou une omission destinées à causer la mort et sont donc
illicites. La diffusion progressive de ces réglementations, également à
travers les directives des sociétés scientifiques nationales et
internationales, outre qu’elle incite un nombre croissant de personnes
vulnérables à choisir l’euthanasie ou le suicide, constitue une
déresponsabilisation sociale envers de nombreuses personnes, qui
auraient seulement besoin d’être mieux soignées et réconfortées.
Le rôle de la famille et les centres de soins palliatifs
Le
rôle de la famille est central dans les soins aux malades en phase
terminale.[69]En elle, la personne s’appuie sur des relations fortes,
est appréciée en elle-même et pas seulement pour sa productivité ou pour
un plaisir qu’elle peut générer. Dans les soins, en effet, il est
essentiel que le malade ne se sente pas un fardeau, mais jouisse de la
proximité et de la considération de ses proches. Dans cette mission, la
famille a besoin d’aide et de moyens adaptés. Il est donc nécessaire que
les États reconnaissent la fonction sociale première et fondamentale de
la famille et son rôle irremplaçable, également dans ce domaine, en lui
fournissant les ressources et les structures nécessaires pour la
soutenir. De plus, l’accompagnement humain et spirituel de la famille
est un devoir dans les structures de soins d’inspiration chrétienne ; il
ne doit jamais être négligé, car il fait partie d’un unique ensemble de
soins envers le malade.
À côté de la famille, l’institution des
centres de soins palliatifs (hospice) où les malades en phase terminale
peuvent être soignés jusqu’au dernier instant est un élément positif et
d’une grande aide. De plus, « la réponse chrétienne au mystère de la
mort et de la souffrance n’est pas une explication, mais une Présence
»[70] qui assume la douleur, l’accompagne et l’ouvre à une espérance
crédible. De telles structures apparaissent comme un exemple d’humanité
dans la société, des sanctuaires où la douleur est vécue avec tout son
sens. C’est pourquoi ils doivent être dotés de personnel spécialisé et
de leurs propres moyens matériels de soins, toujours ouverts aux
familles : « À cet égard, je pense à tout le bien que font les maisons
de soins palliatifs, où les malades en phase terminale sont accompagnés
par un soutien médical, psychologique et spirituel qualifié, afin qu’ils
puissent vivre avec dignité, réconfortés par la proximité de leurs
proches, la phase finale de leur vie terrestre. Je souhaite que de tels
centres continuent d’être des lieux où l’on pratique avec engagement la
“thérapie de la dignité”, alimentant ainsi l’amour et le respect pour la
vie ».[71] Dans de tels contextes, comme dans toute structure sanitaire
catholique, il est juste que soient présents des agents sanitaires et
pastoraux non seulement préparés sur le plan clinique, mais menant aussi
une véritable vie théologale de foi et d’espérance orientée vers Dieu,
car celle-ci constitue la plus haute forme d’humanisation de la
mort.[72]
L’accompagnement et les soins prénataux et pédiatriques
En
ce qui concerne l’accompagnement des nourrissons et des enfants
souffrant de maladies dégénératives chroniques incompatibles avec la vie
ou en phase terminale de la vie elle-même, il est nécessaire de
réaffirmer ce qui suit, en étant conscients de la nécessité de
développer une stratégie opérationnelle capable d’assurer la qualité et
le bien-être de l’enfant et de sa famille.
Depuis leur
conception, les enfants souffrant de malformations ou de pathologies de
toutes sortes sont de petits patients que la médecine d’aujourd’hui est
toujours en mesure d’aider et d’accompagner en respectant la vie. Leur
vie est sacrée, unique, non reproductible et inviolable, exactement
comme celle de tout adulte.
Dans le cas de pathologies prénatales
dites “incompatibles avec la vie” – c’est-à-dire qui conduiront
certainement à la mort dans un court laps de temps – et en l’absence de
thérapies fœtales ou néonatales capables d’améliorer l’état de santé de
ces enfants, il ne faut en aucun cas les abandonner en termes de soins,
mais les accompagner comme tout autre patient jusqu’à ce que survienne
la mort naturelle ; le comfort care périnatal favorise en ce sens un
parcours de soins intégré qui, à côté du soutien des médecins et des
agents pastoraux, associe une présence constante de la famille. L’enfant
est un patient spécial et nécessite une préparation particulière de la
part de l’accompagnateur, tant en termes de connaissances que de
présence. L’accompagnement empathique d’un enfant en phase terminale,
qui est l’un des plus délicats, vise à ajouter de la vie aux années de
l’enfant et non des années à sa vie.
Les centres de soins
palliatifs périnataux, en particulier, apportent un soutien essentiel
aux familles qui accueillent la naissance d’un enfant dans des
conditions fragiles. Dans de tels contextes, l’accompagnement médical
compétent et le soutien d’autres familles-témoins qui ont vécu la même
expérience de douleur et de perte constituent une ressource essentielle,
parallèlement au nécessaire accompagnement spirituel de ces familles.
Il est du devoir pastoral des personnels de santé d’inspiration
chrétienne de travailler à promouvoir leur diffusion dans le monde
entier.
Tout cela est particulièrement nécessaire pour les
enfants qui, dans l’état actuel des connaissances scientifiques, sont
destinés à mourir immédiatement après l’accouchement ou dans un court
laps de temps. Prendre soin de ces enfants aide les parents à faire face
au chagrin et à le concevoir non seulement comme une perte, mais comme
une étape d’un voyage d’amour qu’ils ont parcouru avec leur enfant.
Malheureusement,
la culture aujourd’hui dominante ne favorise pas cette approche : sur
le plan social, le recours parfois obsessionnel au diagnostic prénatal
et l’émergence d’une culture hostile au handicap conduisent souvent au
choix de l’avortement, ce qui conduit à le faire passer pour une
pratique de « prévention ». Consistant à tuer délibérément une vie
humaine innocente, il n’est donc jamais licite. L’utilisation des
diagnostics prénataux à des fins sélectives est par conséquent contraire
à la dignité de la personne et gravement illicite en tant qu’expression
d’une mentalité eugénique. Dans d’autres cas, après la naissance, la
même culture conduit à suspendre ou à ne pas initier les soins au
nouveau-né, en raison de la présence ou même seulement de la possibilité
qu’un handicap se développe à l’avenir. Cette approche de type
utilitariste ne peut pas non plus être approuvée. Une telle procédure
est non seulement inhumaine mais aussi gravement illicite sur le plan
moral.
Un principe fondamental de l’assistance pédiatrique est
que l’enfant en phase terminale a droit au respect et au soin de sa
personne, en évitant aussi bien l’acharnement thérapeutique et
l’obstination déraisonnable que toute anticipation intentionnelle de sa
mort. D’un point de vue chrétien, le soin pastoral d’un enfant en phase
terminale appelle la participation à la vie divine par le Baptême et la
Confirmation.
Dans la phase terminale de l’évolution d’une
maladie incurable, même si les thérapies pharmacologiques ou autres
visant à contrecarrer la pathologie dont souffre l’enfant sont
suspendues, dans la mesure où elles ne correspondent plus à son état
clinique détérioré et sont considérées par les médecins comme futiles ou
excessivement lourdes pour lui en tant que source de nouvelles
souffrances, le soin intégral de la personne du petit malade ne doit
cependant jamais faire défaut dans ses différentes dimensions
physiologiques, psychologiques, affectivo-relationnelles et
spirituelles. Soigner ne signifie pas seulement pratiquer une thérapie
et guérir ; tout comme interrompre une thérapie, lorsqu’elle ne
bénéficie plus à l’enfant incurable, n’implique pas de suspendre les
traitements efficaces pour soutenir les fonctions physiologiques
essentielles à la vie du petit patient, tant que son corps est capable
d’en bénéficier (soutien à l’hydratation, à la nutrition, à la
thermorégulation et autres encore, dans la mesure où ces éléments sont
nécessaires pour soutenir l’homéostasie corporelle et réduire la
souffrance organique et systémique). L’abstention de toute obstination
thérapeutique dans l’administration de traitements jugés inefficaces ne
doit pas être un désistement curatif, mais doit maintenir ouverte la
voie de l’accompagnement de la mort. Il faut plutôt considérer que même
les interventions de routine, telle l’assistance respiratoire, doivent
être effectuées de manière indolore et proportionnée, en personnalisant
pour le patient le type d’aide approprié, pour éviter que le juste souci
de la vie n’entre en conflit avec l’imposition injuste d’une douleur
évitable.
Dans ce contexte, l’évaluation et la gestion de la
douleur physique du nourrisson et de l’enfant sont essentielles pour le
respecter et l’accompagner dans les phases les plus stressantes de la
maladie. Des soins personnalisés et délicats, aujourd’hui attestés dans
l’assistance clinique pédiatrique, accompagnés de la présence des
parents, permettent une gestion intégrée et plus efficace de toute
intervention d’assistance.
Le maintien du lien affectif entre les
parents et l’enfant fait partie intégrante du processus de soin. La
relation de suivi et d’accompagnement parents-enfants doit être
favorisée avec tous les outils nécessaires et constitue une partie
fondamentale du soin, même pour les maladies incurables et les
situations en évolution terminale. En plus du contact émotionnel, il ne
faut pas oublier le moment spirituel. La prière des personnes proches, à
l’intention de l’enfant malade, a une valeur surnaturelle qui dépasse
et approfondit la relation affective.
Le concept éthico-juridique
de “l’intérêt supérieur de l’enfant” – désormais utilisé pour procéder à
l’évaluation des coûts et des avantages du traitement à fournir – ne
peut en aucun cas constituer un fondement pour décider d’abréger sa vie
afin de lui éviter la souffrance, au moyen d’actions ou d’omissions qui,
par leur nature ou leur intention, peuvent revêtir un caractère
euthanasique. Comme dit précédemment, la suspension de thérapies
disproportionnées ne peut conduire à suspendre les soins de base
nécessaires pour accompagner vers une mort naturelle digne, notamment
ceux destinés à soulager la douleur, ni non plus l’assistance
spirituelle qui doit être offerte à celui qui rencontrera bientôt Dieu.
Thérapies analgésiques et suppression de la conscience
Certains
soins spécialisés requièrent une attention et des compétences
particulières de la part des personnels de santé, afin de mettre en
œuvre les meilleures pratiques médicales d’un point de vue éthique,
gardant toujours conscience d’aborder les personnes dans leur situation
concrète de douleur.
Pour soulager la douleur du malade, la
thérapie analgésique utilise des médicaments qui peuvent provoquer une
suppression de la conscience (sédation). Un sens religieux profond peut
permettre au patient de vivre la douleur comme une offrande spéciale à
Dieu, dans la perspective de la Rédemption ;[73] l’Église affirme
cependant la licéité de la sédation dans le cadre des soins qui sont
offerts au patient, afin que la fin de la vie se fasse dans la plus
grande paix possible et dans les meilleures conditions intérieures. Cela
est également vrai dans le cas des traitements qui rapprochent le
moment de la mort (sédation palliative profonde en phase
terminale),[74]toujours, dans la mesure du possible, avec le
consentement éclairé du patient. Du point de vue pastoral, il est bon de
veiller à la préparation spirituelle du malade afin qu’il arrive
consciemment à la mort comme rencontre avec Dieu.[75]L’utilisation
d’analgésiques fait donc partie des soins aux patients, mais toute
administration qui provoque directement et intentionnellement la mort
est une pratique euthanasique et est inacceptable.[76] La sédation doit
donc exclure, comme but direct, l’intention de tuer, même s’il en
résulte un possible conditionnement vers la mort de toute manière
inévitable.[77]
Une précision s’impose ici, qui concerne les
contextes pédiatriques : dans le cas d’un enfant incapable de
comprendre, comme par exemple un nouveau-né, il ne faut pas faire
l’erreur de supposer que l’enfant peut supporter la douleur et
l’accepter, alors qu’il existe des moyens pour l’atténuer. C’est
pourquoi il est du devoir du médecin de s’efforcer de réduire au maximum
les souffrances de l’enfant, afin qu’il puisse atteindre la mort
naturelle en toute tranquillité, en sentant autant que possible la
présence aimante des médecins et, surtout, de la famille.
L’état végétatif et l’état de conscience minimale
D’autres
situations importantes sont celle du malade privé de conscience de
façon persistante, ce qu’on appelle “état végétatif”, et celle du malade
en état de “conscience minimale”. Il est toujours totalement trompeur
de penser que l’état végétatif et l’état de conscience minimale, chez
des sujets qui respirent de façon autonome, soient le signe que le
malade a cessé d’être une personne humaine avec toute la dignité qui lui
est propre.[78]Au contraire, dans ces états de faiblesse maximale, il
doit être reconnu dans sa valeur et assisté par des soins appropriés. Le
fait que le malade puisse rester pendant des années dans cette
situation douloureuse sans espoir clair de guérison implique une
indéniable souffrance pour ceux qui prennent soin de lui.
Il peut
tout d’abord être utile de rappeler ce qu’il ne faut jamais perdre de
vue dans ce genre de situation douloureuse, à savoir que le patient dans
ces états a droit à l’alimentation et à l’hydratation. L’alimentation
et l’hydratation artificielles sont en principe des mesures ordinaires ;
dans certains cas, ces mesures peuvent devenir disproportionnées, soit
parce que leur administration n’est plus efficace, soit parce que les
moyens de les administrer créent une charge excessive et entraînent des
effets négatifs qui l’emportent sur les avantages.
Au regard de
ces principes, l’engagement de l’agent de santé ne peut se limiter au
patient mais doit s’étendre à la famille ou aux personnes chargées du
soin du patient, pour lesquelles un accompagnement pastoral approprié
doit également être assuré. Il convient donc d’apporter un soutien
adéquat aux membres de la famille pour qu’ils supportent la charge
prolongée de l’assistance aux patients dans ces états, en leur assurant
cette proximité qui aide à ne pas se décourager et, surtout, à ne pas
considérer l’interruption des soins comme la seule solution. Il faut se
préparer à cela de manière adéquate, de même qu’il faut que les membres
de la famille soient soutenus comme il se doit.
L’objection de conscience de la part des personnels de santéet des établissements de santé catholiques
Face
à des lois légitimant – sous quelque forme d’assistance médicale que ce
soit – l’euthanasie ou le suicide assisté, toute coopération immédiate,
formelle ou matérielle, doit toujours être refusée. Ces contextes
constituent un domaine spécifique du témoignage chrétien, dans lequel «
il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29). Il n’existe ni
droit au suicide ni droit à l’euthanasie : le droit existe pour protéger
la vie et la coexistence entre les hommes, pas pour causer la mort. Il
n’est donc jamais licite pour quiconque de collaborer à de tels actes
immoraux ou de laisser entendre que l’on puisse en être complice en
paroles, par action ou par omission. Le seul vrai droit est celui du
malade à être accompagné et soigné avec humanité. Ce n’est qu’ainsi que
sa dignité pourra être préservée jusqu’à sa mort naturelle. « Aucun
agent de santé, par conséquent, ne peut devenir le tuteur exécutif d’un
droit inexistant, même lorsque l’euthanasie est demandée en toute
conscience par la personne concernée ».[79]
À cet égard, les
principes généraux concernant la coopération au mal, autrement dit à des
actions illicites, sont réaffirmés comme suit : « Les chrétiens, comme
tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, par un grave devoir de
conscience, à ne pas prêter leur concours formel à ces pratiques qui,
bien qu’admises par le droit civil, sont contraires à la Loi de Dieu. En
fait, d’un point de vue moral, il n’est jamais licite de coopérer
formellement au mal. Une telle coopération se produit lorsque l’action
entreprise, soit par sa nature même, soit par la configuration qu’elle
prend dans un contexte concret, se caractérise par une participation
directe à un acte contre la vie humaine innocente ou par le partage de
l’intention immorale de l’agent principal. Cette coopération ne peut
jamais être justifiée ni en invoquant le respect de la liberté d’autrui,
ni en s’appuyant sur le fait que le droit civil le prévoit et l’exige :
pour les actes que chacun accomplit personnellement, il existe une
responsabilité morale à laquelle personne ne peut jamais se soustraire
et sur laquelle chacun sera jugé par Dieu lui-même (cf. Rm 2, 6 ; 14,
12) ».[80]
Il est nécessaire que les États reconnaissent
l’objection de conscience dans le domaine médical et sanitaire,
conformément aux principes de la loi morale naturelle, en particulier
lorsque le service de la vie interpelle quotidiennement la conscience
humaine.[81]Lorsqu’elle n’est pas reconnue, on pourra en arriver à la
situation de devoir désobéir à la loi, pour ne pas ajouter l’injustice à
l’injustice, en conditionnant la conscience des personnes. Les
personnels de santé ne doivent pas hésiter à la réclamer comme un droit
propre et comme une contribution spécifique au bien commun.
De
même, les établissements de santé doivent surmonter les fortes pressions
économiques qui les amènent parfois à accepter la pratique de
l’euthanasie. Et si la difficulté de trouver les moyens nécessaires rend
l’engagement des institutions publiques très lourd, la société dans son
ensemble est appelée à se responsabiliser davantage pour que les
malades incurables ne soient pas abandonnés à eux-mêmes ou aux seules
ressources de leur famille. Tout cela exige une position claire et
unifiée de la part des Conférences Épiscopales, des Églises locales,
ainsi que des communautés et institutions catholiques, afin de protéger
leur droit à l’objection de conscience dans les contextes juridiques qui
prévoient l’euthanasie et le suicide.
Les établissements de
santé catholiques constituent un signe concret de la manière dont la
communauté ecclésiale, à l’instar du Bon Samaritain, prend soin des
malades. Le commandement de Jésus, « guérissez les malades » (Lc 10, 9),
trouve sa concrétisation non seulement en leur imposant les mains, mais
aussi en les recueillant dans la rue, en les aidant chez eux et en
mettant en place des structures d’accueil et d’hospitalité appropriées.
Fidèle au commandement du Seigneur, l’Église a construit au cours des
siècles diverses structures d’accueil, où le soin médical trouve une
déclinaison spécifique dans la dimension du service intégral à la
personne malade.
Les établissements de santé catholiques sont
appelés à être des témoins fidèles de l’indispensable attention éthique
au respect des valeurs humaines fondamentales et des valeurs chrétiennes
qui constituent leur identité, en s’abstenant de comportements
clairement illicites moralement et par une obéissance déclarée et
formelle aux enseignements du Magistère ecclésial. Toute autre action
qui ne correspond pas aux objectifs et aux valeurs dont s’inspirent les
établissements de santé catholiques n’est pas acceptable sur le plan
éthique et, par conséquent, remet en cause l’attribution à
l’établissement de santé lui-même du titre de “catholique”.
En ce
sens, il n’est pas admissible sur le plan éthique d’avoir une
collaboration institutionnelle avec d’autres hôpitaux pour orienter et
diriger les personnes qui demandent l’euthanasie. De tels choix ne
peuvent être moralement admis ou soutenus dans leur mise en œuvre
concrète, même s’ils sont juridiquement possibles. En effet, les lois
qui approuvent l’euthanasie « non seulement ne créent aucune obligation
pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et
précise de s’y opposer par l’objection de conscience. Dès les origines
de l’Église, la prédication apostolique a enseigné aux chrétiens le
devoir d’obéir aux pouvoirs publics légitimement constitués (cf. Rm 13,
1-7 ; 1 P 2, 13-14), mais elle a donné en même temps le ferme
avertissement qu’ “il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes” (Ac 5, 29)
».[82]
Le droit à l’objection de conscience ne doit pas nous
faire oublier que les chrétiens ne rejettent pas ces lois en vertu d’une
conviction religieuse privée, mais en vertu d’un droit fondamental et
inviolable de chaque personne, essentiel au bien commun de toute la
société. Il s’agit en effet de lois contraires au droit naturel, dans la
mesure où elles sapent les fondements mêmes de la dignité humaine et
d’une vie en commun fondée sur la justice.
L’accompagnement pastoral et le soutien des sacrements
Le
moment de la mort est une étape décisive de l’homme dans sa rencontre
avec le Dieu Sauveur. L’Église est appelée à accompagner spirituellement
les fidèles dans cette situation, en leur offrant les “ressources de
guérison” que sont la prière et les sacrements. Aider les chrétiens à le
vivre dans un contexte d’accompagnement spirituel est un acte suprême
de charité. Précisément parce qu’ « aucun croyant ne devrait mourir dans
la solitude et dans l’abandon »,[83] il est nécessaire de créer autour
du malade une solide plateforme de relations humaines et humanisantes
qui l’accompagnent et l’ouvrent à l’espérance.
La parabole du Bon
Samaritain indique quelle doit être la relation avec le voisin qui
souffre, quelles sont les attitudes à éviter – indifférence, apathie,
préjugés, peur de se salir les mains, enfermement dans ses propres
affaires – et ce qu’il faut entreprendre – attention, écoute,
compréhension, compassion, discrétion.
L’invitation à
l’imitation, « Va et toi aussi fais de même » (Lc 10, 37), est un
avertissement à ne pas sous-estimer tout le potentiel humain de
présence, de disponibilité, d’acceptation, de discernement,
d’implication, qu’exige la proximité avec les personnes dans le besoin
et qui est une composante essentielle du soin intégral de la personne
malade.
La qualité de l’amour et des soins prodigués aux
personnes en situations critiques et terminales contribue au désir
terrible et extrême de mettre fin à sa vie. Seul un contexte de chaleur
humaine et de fraternité évangélique, en effet, peut ouvrir un horizon
positif et soutenir le malade dans l’espérance et dans la confiante
remise de soi.
Cet accompagnement s’inscrit dans le cadre du parcours défini par les soins palliatifs et doit inclure le patient et sa famille.
La
famille a toujours joué un rôle important dans le soin, et sa présence,
son soutien et son affection sont un facteur thérapeutique essentiel
pour le malade. Le pape François rappelle en effet qu’elle « est depuis
toujours l’“hôpital” le plus proche. Aujourd’hui encore, dans de
nombreuses parties du monde, l’hôpital est un privilège réservé à de
rares personnes et, souvent, il est éloigné. Ce sont la maman, le papa,
les frères, les sœurs, les grands-mères qui assurent les soins et qui
aident à guérir ».[84]
Prendre les autres en charge ou prendre
soin de la souffrance d’autrui est un engagement qui n’implique pas
seulement certains, mais engage la responsabilité de tous, de toute la
communauté chrétienne. Saint Paul dit que lorsqu’un membre souffre,
c’est tout le corps qui est dans la souffrance (cf. 1 Co 12, 26) et tout
entier se penche sur le membre malade pour lui apporter le soulagement.
Chacun, pour sa part, est appelé à être un “serviteur de la
consolation” face à toute situation humaine de désolation et de
découragement.
L’accompagnement pastoral fait appel à l’exercice
des vertus humaines et chrétiennes d’empathie (en-pathos), de compassion
(cum-passio), de prise en charge de sa souffrance en la partageant, et
de consolation (cum-solacium), d’entrée dans la solitude de l’autre pour
faire en sorte qu’il se sente aimé, accueilli, accompagné, soutenu.
Le
ministère d’écoute et de consolation que le prêtre est appelé à offrir,
se faisant signe de la sollicitude compatissante du Christ et de
l’Église, peut et doit jouer un rôle décisif. Dans cette importante
mission, il est extrêmement important de témoigner, en les associant, de
cette vérité et de cette charité avec lesquelles le regard du Bon
Pasteur ne cesse d’accompagner tous ses enfants. Étant donné
l’importance de la figure du prêtre dans l’accompagnement humain,
pastoral et spirituel des malades en fin de vie, il est nécessaire de
prévoir, dans son parcours de formation, une préparation actualisée et
ciblée à cet égard. Il est également important que les médecins et les
personnels de santé soient formés à cet accompagnement chrétien, car il
peut y avoir des circonstances particulières qui rendent très difficile
la présence adéquate des prêtres au chevet des malades en phase
terminale.
Être des hommes et des femmes experts en humanité
signifie favoriser, au travers des attitudes par lesquelles chacun prend
soin de son prochain qui souffre, la rencontre avec le Seigneur de la
vie, seul capable de verser de manière efficace, sur les blessures
humaines, l’huile de la consolation et le vin de l’espérance.
Tout homme a le droit naturel d’être assisté en cette heure suprême selon les expressions de la religion qu’il professe.
Le
moment sacramentel est toujours le point culminant de tout l’effort
pastoral de soin qui précède et la source de tout ce qui suit.
L’Église
appelle sacrements « de guérison »[85]la Pénitence et l’Onction des
malades, qui culminent dans l’Eucharistie comme “viatique” pour la vie
éternelle.[86]Par la proximité de l’Église, le malade vit la proximité
du Christ qui l’accompagne sur le chemin de la maison du Père (cf. Jn
14, 6) et l’aide à ne pas tomber dans le désespoir,[87]le soutenant dans
l’espérance, surtout quand le chemin devient plus difficile.[88]
Le discernement pastoral à l’égard de ceux qui demandent l’euthanasie ou le suicide assisté
Un
cas très particulier dans lequel il est aujourd’hui nécessaire de
réaffirmer l’enseignement de l’Église est l’accompagnement pastoral de
celui qui a expressément demandé l’euthanasie ou le suicide assisté. En
ce qui concerne le sacrement de la réconciliation, le confesseur doit
veiller à ce qu’il y ait une contrition, laquelle est nécessaire pour la
validité de l’absolution et consiste en « une douleur de l’âme et une
détestation du péché commis, avec le propos de ne pas pécher à l’avenir
».[89]Dans notre cas, nous avons affaire à une personne qui, au-delà de
ses dispositions subjectives, a fait le choix d’un acte gravement
immoral et y persévère librement. Il s’agit d’une non-disposition
manifeste à la réception des sacrements de la Pénitence, avec
l’absolution,[90]et de l’Onction des malades,[91]ainsi que du
Viatique.[92] Le pénitent pourra recevoir ces sacrements lorsque sa
volonté de prendre des mesures concrètes permettra au ministre de
conclure qu’il a modifié sa décision. Cela implique également qu’une
personne qui s’est inscrite auprès d’une association pour recevoir
l’euthanasie ou le suicide assisté doit montrer son intention d’annuler
cette inscription avant de recevoir les sacrements. Il faut rappeler que
la nécessité de différer l’absolution n’implique pas un jugement quant à
l’imputabilité de la faute, dans la mesure où la responsabilité
personnelle peut être réduite, voire inexistante.[93] Dans le cas où le
patient serait désormais inconscient, le prêtre pourrait administrer les
sacrements sub condicione si le repentir peut être présumé à partir
d’un signe donné précédemment par la personne malade.
Cette
position de l’Église n’est pas le signe d’un manque d’accueil envers les
malades. Elle doit, en effet, être associée à l’offre toujours possible
d’aide et d’écoute, toujours accordées, ainsi qu’à une explication
approfondie du contenu du sacrement, afin de donner à la personne,
jusqu’au dernier moment, les outils pour le choisir et le désirer.
L’Église, en effet, veille à scruter les signes de conversion suffisants
pour que les fidèles puissent raisonnablement demander à recevoir les
sacrements. Il faut rappeler que le report de l’absolution est aussi un
acte médicinal de l’Église, qui vise non pas à condamner le pécheur mais
à le faire évoluer et à l’accompagner vers la conversion.
Ainsi,
même lorsqu’une personne n’est pas en condition objective pour recevoir
les sacrements, une proximité qui invite toujours à la conversion est
nécessaire. Surtout si l’euthanasie, demandée ou acceptée, n’est pas
pratiquée dans un bref délai. Il y aura alors la possibilité d’un
accompagnement pour faire renaître l’espérance et modifier le choix
erroné, afin que l’accès aux sacrements soit ouvert au malade.
Cependant,
il n’est pas admissible de la part de ceux qui assistent
spirituellement ces malades de faire quelque geste extérieur que ce soit
qui puisse être interprété comme une approbation de l’euthanasie, comme
par exemple rester présent au moment de sa réalisation. Une telle
présence ne peut être interprétée que comme une complicité. Ce principe
concerne en particulier, mais pas seulement, les aumôniers des
structures de santé où l’euthanasie peut être pratiquée, qui ne doivent
pas faire scandale en se montrant d’une quelconque manière complices de
la suppression d’une vie humaine.
La réforme du système éducatif et de la formation des personnels de santé
Dans
le contexte social et culturel actuel, si riche en défis liés à la
protection de la vie humaine aux stades les plus critiques de
l’existence, le rôle de l’éducation est incontournable. La famille,
l’école, les autres institutions éducatives et les communautés
paroissiales doivent travailler avec persévérance à éveiller et affiner
cette sensibilité envers les autres et leur souffrance, dont la figure
du Samaritain évangélique est devenue un symbole.[94]
Les
aumôneries hospitalières sont tenues de développer la formation
spirituelle et morale des personnels de santé, notamment des médecins et
du personnel infirmier, ainsi que des groupes de bénévoles des
hôpitaux, afin qu’ils sachent apporter l’assistance humaine et
psychologique nécessaire dans les dernières étapes de la vie. Le soin
psychologique et spirituel du patient tout au long de la maladie doit
être une priorité pour les agents pastoraux et sanitaires, en prenant
soin de placer le patient et sa famille au centre.
Les soins
palliatifs doivent être répandus dans le monde entier et il est
nécessaire de mettre en place des cours diplômants pour la formation
spécialisée des personnels de santé. Est également prioritaire la
diffusion d’une information correcte et généralisée sur l’efficacité de
soins palliatifs authentiques pour un accompagnement digne de la
personne jusqu’à la mort naturelle. Les établissements de santé
d’inspiration chrétienne doivent préparer pour leurs propres personnels,
comme une composante essentielle des soins palliatifs, des principes
directeurs qui incluent une assistance psychologique, morale et
spirituelle appropriée.
L’assistance humaine et spirituelle doit
être intégrée dans la formation académique de tous les personnels de
santé et dans les stages en milieu hospitalier.
En outre, les
structures de santé et de soins doivent fournir des modèles d’assistance
psychologique et spirituelle aux personnels de la santé qui s’occupent
des patients en phase terminale de la vie humaine. Il est essentiel de
prendre soin des soignants pour éviter que le fardeau (burn out) de la
souffrance et de la mort des patients incurables ne retombe sur les
soignants et les médecins. Ceux-ci ont besoin de soutien et de moments
adaptés de confrontation et d’écoute, afin de pouvoir élaborer non
seulement des valeurs et des émotions, mais aussi le sens de l’angoisse,
de la souffrance et de la mort dans le cadre de leur service de la vie.
Ils doivent pouvoir percevoir le sens profond de l’espérance et la
conscience que leur mission est une véritable vocation à soutenir et à
accompagner le mystère de la vie et de la grâce dans les phases
douloureuses et terminales de l’existence.[95]
Conclusion
Le
mystère de la Rédemption de l’homme est étonnamment enraciné dans
l’implication amoureuse de Dieu dans la souffrance humaine. Voilà
pourquoi nous pouvons avoir confiance en Dieu et transmettre cette
certitude dans la foi à l’homme souffrant et effrayé par la douleur et
par la mort.
Le témoignage chrétien montre que l’espérance est
toujours possible, même dans la culture du déchet. « L’éloquence de la
parabole du Bon Samaritain et de l’Évangile entier se résume avant tout à
ceci: l’homme doit se sentir comme appelé à titre vraiment personnel à
être le témoin de l’amour dans la souffrance ».[96]
L’Église
apprend du Bon Samaritain le soin des malades en phase terminale et
obéit ainsi au commandement lié au don de la vie : « Respecte, défends,
aime et sers la vie, toute vie humaine ! ».[97]L’évangile de la vie est
un évangile de compassion et de miséricorde adressé à l’homme concret,
faible et pécheur, pour le relever, le garder dans la vie de la grâce
et, si possible, le guérir de toutes ses blessures.
Mais il ne
suffit pas de partager la douleur, il faut se plonger dans les fruits du
Mystère Pascal du Christ pour vaincre le péché et le mal, avec la
volonté de « faire cesser la misère du prochain comme s’il s’agissait de
la sienne propre ».[98]La plus grande misère, cependant, consiste en
l’absence d’espérance face à la mort. Cette espérance est celle que
proclame le témoignage chrétien qui, pour être efficace, doit être vécu
dans la foi, en impliquant tous les intéressés, membres de la famille,
infirmiers, médecins, et la pastorale des diocèses et des centres
hospitaliers catholiques, appelés à vivre fidèlement le devoir
d’accompagner les malades dans toutes les phases de la maladie, et en
particulier dans les phases critiques et terminales de la vie, telles
que définies dans le présent document.
Le Bon Samaritain, qui
place le visage de son frère éprouvé au centre de son cœur, sait voir
son besoin, lui offre tout le bien nécessaire pour le soulager de la
blessure de la désolation et ouvre dans son cœur de lumineuses
embrasures d’espérance.
La volonté de faire le bien qui habite le
Samaritain, devenu le prochain de l’homme blessé non pas avec des
paroles ou avec sa langue, mais avec des actes et en vérité (cf. 1 Jn 3,
18), prend la forme du soin, à l’exemple du Christ, qui est passé en
faisant le bien et en guérissant tout le monde (cf. Ac 10, 38).
Guéris
par Jésus, nous devenons des hommes et des femmes appelés à proclamer
sa puissance de guérison, à aimer et à prendre soin de notre prochain
comme Il nous en a donné le témoignage.
Cette vocation à aimer et
à prendre soin des autres,[99] qui porte avec elle des gains
d’éternité, est rendue explicite par le Seigneur de la vie dans la
paraphrase du Jugement Dernier : Recevez le Royaume en héritage, car
j’étais malade et vous m’avez visité. Quand, Seigneur ? Chaque fois que
vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de vos frères, à l’un de vos
frères souffrants, c’est à moi que vous l’avez fait (cf. Mt 25, 31-46).
Le
25 juin 2020, le Souverain Pontife François a approuvé cette Lettre,
décidée lors de la Session Plénière du 29 janvier 2020, et en a ordonné
la publication.
Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi, le 14 juillet 2020, mémoire liturgique de saint
Camille de Lellis.
Luis F. Card. Ladaria, S. I.
Préfet
+ Giacomo Morandi
Archevêque titulaire de Cerveteri
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